169. Plongée air et mélanges: optimiser la décompression par les
“Gradient Factors”
Par Thierry Fontenay https://www.plongee-infos.com/
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Les clés du calcul de la décompression !
Un article complet, extrêmement approfondi et détaillé
sur l’étude de la décompression en plongée à l’air et
aux mélanges par les “Gradient Factors”, que nous
propose Thierry Fontenay, spécialiste en la matière.
Pour tout comprendre sur les modèles de décompression.
« Les stratégies de décompression
utilisées sont toutes basées sur un équilibre
« négocié » entre la probabilité de survenu d’accident
et le temps passé à remonter. »
(Dr. David Doolette – NEDU).
« Il faut bien se convaincre qu’en
matière de décompression, la vérité n’est pas
téléchargeable. »
(Dr. Bernard Gardette – COMEX).
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En matière de
décompression, les seules choses dont nous soyons
absolument certains (parce que scientifiquement
prouvées) sont les lois de Dalton, de Boyle-Mariotte et
de Henry. Il faut garder présent à l’esprit que les
tables et algorithmes qui en sont issus ne sont que le
résultat de modélisations et de simulations de ce qui
semble se passer dans l’organisme. Certains modèles sont
issus d’observations cliniques et de tests in vivo et
d’autres d’une pure théorie, parfois même de simples
pratiques qui semblent donner satisfaction (comme les
Pyle stops ou le Ratio Deco).
Tout est affaire de
« négociation » entre la recherche d’une sécurité, la
faisabilité technique (volume de gaz emporté) et
l’inconfort de paliers… toujours trop longs. On peut
dire qu’en général, cela marche trè
Ce qui paraissait
simple et parfaitement formalisé par les tables et les
ordinateurs de plongée loisir il y a encore peu de temps
(le coté obscur de la décompression étant longtemps
resté l’apanage des militaires et des scaphandriers
professionnels) s’est retrouvé largement remis en
question par le développement de la plongée dite
technique, souvent profonde et parfois complexe (c’est
le cas de la plongée souterraine par exemple, ou de
certaines plongées profondes sur épaves), mettant en
œuvre des protocoles multi-gaz, l’utilisation massive
d’hélium, l’usage du recycleur ou la pratique fréquente
de profils parfois peu orthodoxes.
L’âpreté de certains
débats entre plongeurs sur le choix d’un modèle de
décompression (Ratio Deco vs VPM vs ZHL+GF) confine,
parfois, à une guerre de religion. C’est sans doute la
preuve que nous ne détenons pas encore tout à fait la
vérité et que nous continuons d’expérimenter encore et
toujours.
C’est dans ce
contexte, à la fois précis et flou, où théorie et
pratiques se confrontent, s’opposent et, parfois, se
réconcilient, que le concept des GF (Gradient Factors)
prend toute sa valeur.
Petit rappel des postulats haldaniens et
néo-haldaniens
Le principe des GF ne
s’applique qu’aux modèles de décompression haldaniens et
néo-haldaniens, il paraît donc utile de commencer par
rappeler rapidement ces derniers.
A)
Les trois postulats haldaniens , qui permettent de poser
les premières barrières, celles à franchir et celles à
ne pas franchir
-
La réaction du corps peut être
modélisée par un ensemble de compartiments
(aussi appelés tissus) définis en fonction de leur
période de saturation/désaturation
(le temps que met le tissu pour gagner ou perdre la
moitié du gradient de pression partielle d’un gaz).
De 4’ pour le tissu 1 à 645’ pour le tissu 16 dans
un Bühlmann ZHL-16. Les demi périodes courtes
déterminent les tissus qui saturent et désaturent
rapidement, les demi-périodes longues, caractérisent
les tissus lents, ou très lents. Dans un premier
temps seule l’azote a été prise en compte dans les
calculs de période. Les tissus sont avant tout des
modèles mathématiques.
-
Il existe un rapport de
sursaturation tolérable par chaque
compartiment. Haldane avait défini qu’un rapport de
1:2 entre pression ambiante et pression des
gaz dissous du tissu était tolérable.
-
Maximiser le gradient de pression
(entre pression ambiante et pression
des gaz dissous) permet d’optimiser la
décompression : pour que la décompression s’effectue
correctement et efficacement, on peut/doit
s’approcher du point de sursaturation critique. Sans
jamais le dépasser.
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B) La droite de M-Value de Workman : elle
définit le Nec plus ultra (et pas plus loin !)
Workman a défini une
pression partielle maximale tolérable
des gaz inertes dissous,
pour chaque compartiment
et pour chaque profondeur (ramenée, dans le même temps,
du rapport 2:1 d’Haldane à un rapport 1,58:1), baptisées
M-values. M signifiant «maximum». Ceci peut être
synthétisé par une simple formule de type y=ax+b (dans
les faits Pt=∆M.Pamb+M0
ou Pt est la Pression tissulaire maximum
tolérable, ∆M est la pente de la droite, Pamb
est la pression ambiante et M0 l’intercept avec la
pression zéro ambiante). Bref une simple droite
inclinée. Ou plutôt, une famille de droite, puisqu’il en
existe une par compartiment et par gaz inerte dissous.
Pour simplifier et
récapituler,
-
En deçà de la droite des pressions
ambiantes,
le tissu considéré, continue de charger en gaz
inerte.
-
Au delà de cette droite des
pressions ambiantes et en deçà de celle des M-values,
on est dans une zone favorable à la
décompression.
-
Au delà de la courbe des M-values,
on entre dans une zone à haut risque,
où les bulles ont toutes les chances de se former,
en nombre, dans le tissu considéré, favorisant ainsi
la survenue d’un accident.
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C’est donc exactement à
l’endroit ou la courbe de désaturation du tissu le plus
à risque (appelé tissu directeur) va «toucher» sa droite
des M-values (Graphique 4) qu’il faut déclencher un
stop. En procédant par itération, le tissu directeur
changeant au fur et à mesure de la remontée, on obtient
un profil de décompression avec profondeur et durée de
chaque stop. Plus la demi-période du tissu directeur
sera élevée, plus le palier sera long. Les paliers
seront donc de plus en plus longs au fur et à mesure de
la remontée.
Grace aux droites de M-values, on peut
aussi prendre en compte un élément essentiel : la
dissymétrie des ratios de surpression tolérable par
chaque tissu à différentes profondeurs. Pour faire
simple : plus le tissu est rapide, plus il tolère une
forte surpression. Plus il est lent et moins il la
tolère. De même, plus la pression ambiante est élevée,
donc plus on est profond, et plus les gradients de
pression sont réduits. Ce qui explique pourquoi on
pourrait sans préjudice (et certains le font) adopter
une vitesse de remontée variable. Rapide au départ, puis
de plus en plus lente quand la surface approche.
Le modèle Workman va
donner les profils de décompression que l’on connaît
généralement, assez pentus au départ, s’arrondissant
nettement au ¾ puis s’aplatissant au plus près de la
surface. Il privilégie ainsi une première phase de
remontée relativement rapide et une décompression qui se
situe essentiellement dans le haut.
C) Les M-Values de Bühlmann et leurs
calculs
Dans les années 80, en
Suisse, le professeur Bühlmann s’intéresse
particulièrement à la modélisation de la plongée en
altitude. Bühlmann tout en conservant le concept des
droites de M Values, va en changer certains paramètres
(les célèbres coefficients a et b qui vont remplacer M0
et ∆M) et va aussi chercher à mieux intégrer l’hélium
dans le calcul des demi-périodes de compartiment.
Ses travaux donneront
naissances aux célèbres algorithmes ZHL-12 et 16, qui
«motorisent» une grande partie des ordinateurs du
marché, qu’ils soient grand public ou techniques. Ils
sont aussi à l’origine de très nombreuses tables. |
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Et les GF, alors !
Créer une barrière ajustable, en amont du
champ de mine…
Le principe des GF va,
par la suite, être formalisé par Eric Baker, en partant
d’éléments de calcul publiés par Bühlmann: les
pourcentages de gradient.
Les GF (ou Gradient
Factors ou Facteurs de Gradient) sont comme deux gros
« boutons » de réglage, gradués en pourcentage et qui
viennent agir aux deux extrémités de la droite des
M-values.
Une nouvelle droite,
passant par ces deux points, est ainsi créé, et c’est
elle qui servira désormais à déclencher les stops, à la
place de celle des M-values, sur laquelle elle ne fait
que « s‘appuyer ».
Une sorte de marge de
sécurité supplémentaire est ainsi créée.
Cette marge, détermine
une nouvelle limite, plus ou moins éloignée de la
frontière fixée par l’infranchissable droite des
M-values. De cette façon, la courbe de désaturation de
chaque tissu va rencontrer sa « zone rouge », plus tôt.
Plus précisément, c’est
le tissu directeur (c’est à dire celui qui est le plus à
risque à l’instant ti de la remontée) qui va
rencontrer plus tôt la nouvelle droite définie par les
GF et déclencher un palier, soit plus profond (si il
s’agit du premier palier), soit potentiellement plus
long (qu’il s’agisse du premier palier ou plus
généralement d’un des paliers suivants). On va donc
ainsi modifier la forme du profil de décompression en
jouant sur les GF, et gagner en sécurité.
Ce qui est encore plus
intéressant, c’est que nous allons aussi pouvoir faire
varier la pente de cette nouvelle barrière de façon à
accroitre la sécurité de façon différentielle. Au
choix : déclencher des paliers plus bas, accroitre la
durée des paliers ET de la DTR, OU les deux, OU rien du
tout.
Bref, on va pouvoir
créer son propre profil de décompression, tout en
restant dans une zone de sécurité théorique confortable. |
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Les GF en pratique
La droite des M-values
étant considérée comme la référence absolue, la barrière
à ne pas franchir, on lui donne la valeur 100%. Pour
parler GF : Un GF low 100 associé à un GF high 100 (noté
généralement GF 100/100) définit une droite qui n’est ni
plus ni moins que la droite des M-values elle-même.
C’est le premier niveau de réglage : on n’a rien changé
par rapport à un ZHL-16-B pur.
Un GF 90/90 va créer
une nouvelle droite (qui va maintenant servir à piloter
la décompression à la place de la droite des M-values)
décalée de 10% (100-90=10) en haut et en bas dans le
sens de la sécurité. Ce qui, potentiellement, signifie :
un premier palier un cran plus bas et/ou un dernier
palier plus long. (cf. Fig. 4)
On a ainsi créé une
droite parallèle à la première, mais en amont des
problèmes potentiels. Un peu comme si on avançait les
barbelés en avant d’un champ de mines connu mais qui se
situe dans une zone relativement indéterminée.
Avec un GF 80/80, on
éloigne encore un peu plus la limite des M-Values en
accroissant la sécurité de 20% cette fois. |
Quelques exemples de GF « jumeaux »:
Important ! Les
simulations réalisées ici, l’ont été de façon purement
théorique, De nombreux profils n’ont pas été testés en
plongée réelle… et ne le seront sans doute jamais. Il
s’agit juste d’illustrer le propos et d’aider à la
réflexion. |
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Sur une plongée de 20’ à
30 m à l’air, on voit qu’utiliser un couple de GF 90/90
ne change pas grand chose par rapport à un Bühlmann pur
(GF 100/100), même si accepter 2’ de plus au dernier
palier n’est vraisemblablement pas une mauvaise idée.
Par contre avec un GF
50/50, on peut vraiment se demander 1) quel est
l’intérêt de faire un premier palier à 9m et 2) si cela
rime réellement à quelque chose de passer 14’ à 3m.
Donc, oui, les GF
fonctionnent, mais on discerne déjà, que certains
réglages, apparemment « sécuritaires », peuvent s’avérer
totalement aberrants.
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Sur une 50m à l’air (à
supposer, bien sûr, que cela soit une bonne idée…) on
voit déjà un peu mieux les GF en action. Un Bühlmann pur
(100/100) paraît tout de même un peu «raide».
Un choix de 90/90 ou de 85/85 (ce dernier choix se
contentant d’ajouter 1’ à 6m) paraît bien plus
raisonnable. Si on aime les paliers plus profonds un
70/70 en donnera effectivement un… à 12m, mais associé à
14’ à 3m, ce qui paraît absolument sans intérêt. Ne
parlons même pas du couple 50/50, une fois de plus
complètement à coté !
On remarque donc que les couples de GF
« jumeaux » manquent de souplesse et surtout, si l’on
veut générer des paliers bas, on va augmenter
automatiquement, et considérablement, le temps passé
dans la zone des 10 mètres. Ce qui n’est pas illogique.
Mais pas toujours nécessaire.
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Si maintenant
l’on donne
des valeurs différentes aux GF haut et bas,
nous allons créer une droite qui n’est plus parallèle à
celle des M-values. Elle aura une pente différente, et
va donc « rencontrer » les courbes de désaturation des
tissus à des moments différents et générer des stops de
profondeur et de durée différentes. On va ainsi pouvoir
modifier plus largement la forme du profil général de
décompression, en accentuant la prise en compte de trois
éléments :
-
la dissymétrie des gradients de
pression entre le fond (gradients de pression
faibles) et la surface (gradients forts), car s’il
n’y a qu’un écart de 1 bar tous les 10m, celui-ci
représente, en pourcentage, un gradient variable qui
ne sera que de 11% entre 90 et 80m, mais de 25%
entre 40 et 30m, de 50% entre 20m et 10m et bien sûr
de 100% entre 10m et la surface
-
la dissymétrie entre tissus, les
tissus rapides supportant mieux les forts gradients
de surpression et donc la proximité avec les
M-values, les lents préférant au contraire s’en
tenir éloigné
-
et les spécificité physiques d’un gaz
à désaturation rapide comme l’hélium, dont la
proportion va considérablement varier lors de la
décompression lors d’une plongée trimix.
L’importance de ces
points, déjà pris en compte dans le modèle Bühlmann pur,
va encore être accentuée. |
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Les principes généraux d’utilisation des
GF
Le GF bas
pilote la profondeur du premier palier.
Plus le GF bas sera faible, plus le premier stop sera
déclenché tôt, donc profond. Au contraire plus le GF bas
sera élevé, plus le palier sera proche de ce qu’un
Bühlmann nominal aurait donné.
Le GF haut,
lui, guide la durée du dernier palier.
Plus il est bas, plus il va étirer le dernier palier
dans le temps. Plus il est élevé, plus le dernier palier
sera proche d’un Bühlmann nominal, donc relativement
« court ».
Et entre les deux, que se passe t’il?
La nouvelle droite,
(ou plutôt la nouvelle famille de droites, puisque
rappelons qu’il y en a une par tissu) va suivre une
pente qui va l’amener à faire la jonction
(géométriquement) entre le GF bas et le GF haut. Si je
plonge à 70m avec des GF 20/90, la droite des GF va
suivre une pente qui va aller du GF 20 jusqu’à la
surface (GF 90) et me fera passer par un mon premier
palier défini par le GF 39 (en l’occurrence à 24 m), un
GF45 à 21m, un GF 65 à 12m et un GF 84 à 3m. Ainsi donc,
en
définissant uniquement deux GF, je vais en utiliser, en
réalité, toute une collection intermédiaire.
Potentiellement, tous ceux qui sont sur la droite des GF
définies par le choix 20/90, mais plus précisément tous
ceux déterminés par l’écart de profondeur choisis entre
deux stops (nous utilisons en général un écart de 3m qui
correspond aux 10 pieds anglais choisis, à l’origine,
par Haldane pour simplifier ses calculs.)
Globalement, entre la
profondeur du premier palier (durée 1’) et la durée du
dernier, le temps de décompression total va se répartir
le long de la courbe en privilégiant généralement les 10
derniers mètres ou les trois derniers paliers (entre 40%
et 60% de la DTR suivant la profondeur maximum atteinte,
le temps passé au fond et les gaz utilisés.)
Les résultats obtenus
sont, bien sûr, plus ou moins flagrants, mais les
différences sont tout de même très nettes en fonction
des choix de GF, même sur des plongées aussi simple
qu’une 30m à l’air. |
Quelques autres exemples:
Un couple de GF 30/85,
va nous donner un premier palier à 12m ! Et là, on peut
sincèrement avoir des doutes sur la pertinence d’un tel
choix.
Cela confirme, qu’avec
les GF, il va falloir choisir avec discernement, parmi
un grand nombre de choix possibles, mais aussi écarter
les résultats que le bon sens (et l’expérience) nous
déconseillent. De toute façon, sur une plongée standard
à 30m on peut adopter un couple GF 90/90 ou même GF
100/100 sans trop se poser de question.
Nous avons vu plus
haut qu’un choix de GF 90/90 (DTR : 11’, premier palier
2’ à 6m, dernier palier 5’ à 3m) n’est pas totalement
sécurisant, et que les couples de GF «jumeaux» nous
privent de souplesse. |
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Un GF 30/85 nous donne :
DTR : 15’, premier palier 1’ à 18m, dernier palier 5’ à
3m. Faire un premier palier à 18m à l’air ne paraît pas
non plus bien raisonnable… nos tissus intermédiaires,
vont continuer de se charger.
Quand au GF 20/85, qui
s’approche finalement assez d’un Pyle Stop (palier à
mi-profondeur), il va nous faire sortir avec une
sursaturation résiduelle en azote de presque 1.1 ATA, ce
qui est trop. En tous cas moins bien … qu’un GF 85/85 !
Si on veut à tout prix
faire un palier profond, il paraît judicieux d’ajouter
du temps en haut en choisissant, par exemple, un GF
20/75 qui va nous donner plus de temps dans les 10
derniers mètres (+1’ à 9m, +2’ à 6m et +3’ à 3m) et nous
faire sortir avec une sursaturation du tissu directeur à
0,8 ATA.
Juste pour illustrer
les limites du système : un choix de GF 5/10, a priori
ultra sécuritaire, nous donnerait: DTR : 337’, premier
palier 2’ à 30m, dernier palier 199’ à 3m !!! On
comprend pourquoi certains logiciels de décompression ne
permettent même pas ce choix ! |
GF, trimix et… paliers profonds
Dans les années 90,
beaucoup de plongeurs techniques se sont laissés
convaincre par le modèle «à bulles circulantes». En
rupture complète avec les modèles haldaniens, celui-ci
est basé sur une approche, essentiellement théorique,
reconnaissant entre autre l’impossibilité (et donc
l’inutilité) d’éliminer les bulles. Ce qu’effectivement
les modèles haldaniens et néo-haldaniens, n’ont pas
vraiment réussi à faire. Ce nouveau modèle se contente
de définir un niveau de bulles acceptable dans les
tissus (en nombre et en taille). Un modèle complexe
tenant compte du comportement des bulles, de leur
tension de surface et de leur capacité (en fonction de
leurs tailles, des gradients de pression et du gaz
contenu) à apparaître, à croître et à se multiplier plus
ou moins rapidement à la remontée.
Ce modèle (le VPM-B en
est un aboutissement) préconise des premiers paliers
beaucoup plus profonds, forcément plus nombreux,
associés à des paliers hauts plus courts. Ce qui se
justifie par le fait que nos ennemies les bulles ayant
été, en quelque sorte, maîtrisées dès le départ, il est
moins nécessaire de passer autant de temps en haut. Un
certain nombre de plongeurs profonds ont été rapidement
convaincus par ce modèle qui rejoignait plus ou moins
certaines pratiques déjà adoptées comme les deep-stops
ou les Pyle-stops avec un premier palier à mi
profondeur.
D’autres ont préféré
jouer la prudence. Sans abandonner le modèle Bühlmann
qui avait fait ses preuves, mais ayant déjà pratiqué les
deep-stops sur des plongées profondes, ils ont trouvé
pratique d’utiliser les GF pour «tordre» l’algorithme
dans le sens de paliers plus profonds.
C’est pourquoi on
utilise souvent des choix de GF de type 20/85 ou 10/85
pour des plongées trimix profondes.
Pour illustrer tout
cela, par un exemple qui parlera à tous, prenons le cas
d’une plongée circuit ouvert de 15’ à 70m avec un Tx
normoxique et une décompression classique (EAN 50 et O2
pur à 6m) et observons les profils générés par un ZHL
16-B en faisant varier les GF et en comparant avec un
VPM-B +3.
On voit très nettement
les différences de profils.
Oublions le nominal et
le 90/90, bien trop raides. |
On peut tout de même
noter une faible différence de DTR entre certains choix.
C’est la forme du profil qui va changer. On voit surtout
l’écart important entre les profils GF et le VPM. Il
faut utiliser un GF 10/85 pour s’approcher du VPM-B+3.
On notera qu’un GF 40/75
donnera la même DTR que le VPM, mais avec une
répartition bien différente des paliers, privilégiant la
partie haute de la décompression avec 56% du temps de la
DTR au dessus de 10m.
Si on observe les
courbes de désaturation des tissus directeurs on se
rendra compte de deux choses :
-
D’abord que la ZHL-16+GF 40/75 donne
une sursaturation résiduelle plus faible en sortie.
La décompression semble donc meilleure.
-
Ensuite que, fidèle à ses principes,
le ZHL-16 avec GF 40/75 utilise au mieux la capacité
des tissus rapides à dégazer proprement, mais plus
rapidement en profondeur. Les coefficients de
sursaturation sont effectivement nettement plus
élevés en début de décompression. Le profil VPM
donne lui des coefficients de sursaturation plus
linéaires.
-
Enfin que le ZHL-16+GF 10/85 est
moins performant en sortie, comme si la
décompression n’était pas totalement terminée.
Méfiance donc.
|
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De plus en plus de
plongeurs, intuitivement ou après avoir analysé leurs
courbes de désaturation (fournies par de nombreux
logiciels de planification), préfèrent revenir aux
fondamentaux haldaniens : un fort gradient de pression
favorise une meilleure désaturation et les tissus lents
(loin d’être à saturation au premier deep-stop)
continuent de charger lors des paliers profonds, ce qui
peut générer des surprises, en général mauvaises, à la
sortie.
Une étude récente du NEDU
va dans ce sens, qui prouve que sur une plongée
(protocole «air», certes) à 50 m, avec effort fond et
une durée totale de plongée relativement longue, les
algorithmes deep-stops testés génèrent plus d’ADD que le
modèle néo-haldanien (10 contre 3). Les analyses des
bulles circulantes effectuées sur les plongeurs testés
confirment cela en montrant nettement plus de bulles
circulantes dans l’organisme dans les algorithmes à
bulles que dans les algorithmes à gaz dissous (haldaniens).
La marine US est donc
restée sur ses tables néo-haldaniennes,
sans trouver
d’avantages aux paliers profonds.
En conclusion le Dr. David Doolette (en charge du test)
conclu «Haldane still rules» (Haldane continue de faire
la loi).
Cette étude, qui met en
cause la systématisation des paliers profonds, a été
confirmée par les propres travaux du Dr Simon Mitchell,
qui en a fait le sujet de ses nombreuses et
passionnantes conférences.
Il est vrai que quand on
regarde un VPM-B+4 avec un premier palier seulement 10 m
au dessus de la droite des pressions absolues, on peut
se poser quelques questions sur la pertinence d’un
premier palier aussi bas, même s’il est rapide.
Il n’est pas question ici
de critiquer les modèles à bulles circulantes (qui ont
stimulé la réflexion de tous) mais de suggérer que la
vérité (par définition insaisissable) est peut être…
entre les deux ! En tous cas il reste du travail !
Prenons maintenant
l’exemple d’une
plongée trimix à 90m
avec deux trimix (un hypoxique 12/60 en gaz fond et un
normoxique 20/25 en travel + déco) un Nitrox 50 et de
l’oxygène pur pour terminer. Ceci n’est qu’un exemple,
d’autres choix de gaz sont évidemment possibles. |
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Ici le 95/95 et le 85/85
paraissent carrément dangereux avec une DTR de moins de
50’ et des premiers paliers à 24 et 30m. Mais on s’en
doutait un peu. La courbe de saturation des tissus
(telle que donnée par Multidéco) montre un taux de
sursaturation en sortie voisin de 0,8 ATA ce qui est
beaucoup (et nous indique que la désaturation est assez
loin d’être terminée). A 21m le taux de sursaturation
atteint les 1,8 ATA !
Des solutions souvent retenues (20/85 ou
même 10/85) semblent effectivement de bien meilleurs
choix. Si le 10/85, génère volontairement un premier
palier profond (premier palier à 66 m), on peut tout de
même se poser la question de son intérêt car, en
l’occurrence, 1) les tissus lents continuent de charger
et 2) faire un premier palier avec le trimix fond ne
paraît pas vraiment optimal, alors qu’un trimix de déco
(avec une bien meilleure ppo2) est possible quelques
mètres plus haut.
L’option 20/85 semble
tout de suite nettement plus sympathique.
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Plus généralement, mais
c’est un avis personnel, on ne perd pas grand chose à
s’éloigner assez rapidement de la zone où commence
vraiment la décompression (aux alentours de 70m pour une
plongée à 90m), car les tissus directeurs sont encore
des tissus rapides et qu’il est donc possible de les
solliciter plus largement, pour la bonne raison qu’ils
supportent de plus forts gradients de pression en
matière de « dégazage », et que ces même gradients de
pression ambiante, varient lentement près du fond, comme
on l’a vu précédemment.
Sur les plongées entre 70 et 90m, il
paraît assez intéressant d’étudier des GF bas un peu
plus haut et… des GF hauts, un poil plus bas que ce qui
est souvent préconisé. Comme, par exemple, un 40/75. Qui
donnent, sur une 90m, des premiers paliers à 48m et un
dernier palier à l’oxygène de 16’ et un temps dans les
dix derniers mètres de 55% de la DTR . Les taux de
sursaturation tissulaires, donnés par Multi Déco, sont
de 1,2 ATA au maximum et légèrement inférieurs à 0,6 en
sortie. Ce qui n’est pas mal du tout.
Les taux de
sursaturation post-plongée, donnés par Multi Déco, sont
même un peu plus favorables à une solution de type GF
40/75 qu’à une solution VPM-B+3 ou GF 10/85.
NB:
ces taux sont calculés et donc théoriques, il faudrait
des analyses poussées pour connaître les taux de
sursaturation réels dans l’organisme.
Plus généralement, il
n’est pas souhaitable d’aller aux extrêmes « des deux
cotés ». Si je veux des paliers profonds, donc des
paliers effectués plus tôt, il paraît intuitivement
pertinent que le choix de raccourcir, dans le même
temps, la durée des derniers paliers (comme suggéré par
certains logiciels) n’est pas une très bonne idée.
Certains tissus lents continuant à charger, ce qui est
contre productif, voir dangereux. N’oublions pas que ces
tissus lents, qui, au fur et à mesure que le temps passe
ont des chances de devenir directeurs, supportent moins
les dégazages rapides et les forts gradients de pression
proches de la surface. Si on accroit les paliers
profonds, il convient de ne pas réduire, les paliers
hauts. Un logiciel typé « deep stop » comme VPM se
garde, désormais, bien de le faire dans ses dernières
versions.
Ici, il n’a été
question que de plongées où tout se passe bien ! Pour
les « réchappes », par contre, on peut choisir des
profils nettement plus « agressifs ». En effet, en cas
de perte de gaz, on est déjà, potentiellement, en
difficulté. On peut donc admettre la possibilité d’une
certaine prise de risque et choisir dans ce cas de
basculer sur des GF de type 80/80 ou même 90/90.
Enfin, il reste à dire
qu’il n’a été traité ici que de cas de plongées carrées.
Les profils multi niveaux que l’on rencontre souvent en
plongée souterraine, par exemple, sont un cas
particulier, qui n’est pas traité ici, pour la simple
raison que l’auteur de ces lignes ne s’estime pas
suffisamment compétent pour en parler et que le facteur
humain semble être particulièrement important. Pour
preuve, l’exploit incroyable réalisé récemment par un
plongeur polonais avec des GF 100/100 !
Le cas de la
plongée en circuit fermé, appelle d’autres
remarques, qui feront l’objet d’un autre article. En
effet la PPO2 constante, et les traces
durables d’hélium dans la boucle au décours de la
remontée, ou encore la possibilité de bailout (retour en
circuit ouvert) appellent d’autres réflexions. |
Que conclure?
-
Que les GF sont une façon pratique
d’adapter son profil de décompression pour des
raisons très variables (profondeur, mélange utilisé,
forme physique, agressivité souhaitée, agressivité
forcée par ex en cas de réchappe ou de perte de gaz,
etc. …)
-
Que les GF travaillent dans un
univers relatif, donnant parfois, pour des réglages
différents, des résultats assez similaires ou très
différents en fonction des paramètres : durée fond,
temps fond et gaz utilisés. Il convient d’être
prudent.
-
Que le choix des GF étant fait, il
est impératif de confronter les résultats obtenus
avec son bon sens et son expérience personnelle ou
avec celle d’autres plongeurs.
-
Qu’il ne faut pas oublier que
certains profils « possibles » n’ont jamais été
testés. Il faut donc essayer de se garder des
profils trop extrêmes.
-
Que pour certaines plongées, prendre
une simple marge de sécurité haute et basse suffit
amplement. Une plongée de 40 m réalisée en CO ou en
CC à l’air, pourra se satisfaire de GF hauts 85/85
voire 90/90.
-
la tendance actuelle (qui n’est pas
générale) consiste à ne plus déclencher de paliers
trop profonds à grands coups de GF bas faibles, et à
surpondérer (sans excès) une décompression dans le
tiers haut du profil. On rencontre de plus en plus
souvent des réglages 40/85 voir 40/75 pour des
plongées trimix.
-
Qu’en tout domaine où les limites
restent floues, il est bon d’éviter les choix un peu
trop extrêmes.
-
Enfin, que l’on n’a jamais fini
d’apprendre!
NB:
a propos des simulations et des logiciels, il faut noter
que l’algorithme ZHL-16 semble avoir été implémenté de
façon assez différentes suivant les outils. Baltic est
généralement moins conservateur que Multi Déco, par
exemple. Il faudra en tenir compte. |
Référence
et bibliographie:
Les simulations ont été faites en
utilisant les logiciels Baltic, V-planner, IDéco, Multi
Déco et DDplan.
Les articles de références:
-
Bubble incidence after staged
decompression from 50 or 60 msw : effect on adding
deep stops par Blatteau, Hugon, Gardette, Sainty,
Galland
-
VPM – une nouvelle alternative
sérieuse aux modèles haldaniens – Maiken – Baker –
Reinders – Yount – Trad JM Belin
-
Mathematical modeling of
decompression during scuba diving – Please – Newhall
– Levinson – Stanhope – Wang – Cromer – Jagalur-Mohan
– Wrobel – 2009
-
VPM for dummies – Kevin Watts
-
Decompression theory – Des Gorman
-
Decompression methods – David
Doolette – NEDU – Rebreather Forum 3 – Durham
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